La science humaine se pose principallement, croyons-nous, d’éclairer la
<nature humaine>. Elle pouvait, pendant longtemps, jouir de son statut
indépendant à l’egard de la science naturelle, puisque la nature humaine
paraissait tellement différente de celle des autres êtres du monde qu’il
parassait qu’il faudrait employer, pour la saisir adéquatement, une logique
de recherche autre que celle de la science naturelle.
Mais, la science moderne, au fur et à mesure de son développement,
menace de plus en plus cette indépendance de la science humaine à l’egard
de la science naturelle. La science moderne se fonde sur le postulat de
l’objectivité de la Nature. Elle est née au moment où Descartes et Galilée
établissaient le principe d’inertie, qui implique le refus systématique de
considérer comme pouvant conduire à une connaissance <vraie> toute
interprétation des phénomènes donnée en termes de causes finales, c’està-
dire de <projet> : la Nature est, selon ce principe, seulement <objective>,
non pas <projective>. Ainsi, ce principe ne fondait pas seulement la
mécanique, mais l’épistémologie de la science moderne : on pose le postulat
de l’objectivité de la Nature comme condition nécessaire de toute vérité
dans la connaissance. La connaissance <vraie>, c’est-à-dire objective, est
celle qui s’obtient en admettant que le postulat de l’objectivité de la
Nature est la seule source de la vérité, alors que la connaissance qui fait
appel à une certaine cause finale n’est qu’une inteprétation purement
subjective, c’est-à-dire <anthropomorphique>, du monde. Or il semble
que la biologie moderne, tout en restant fidèle à cette épistémologie de la
science moderne, c’est-à-dire en n’employant qu’une méthode d’explication
mécanistique, réussit à expliquer les phénomènes vitaux qui, pendant
longtemps, même jusqu’à presque 200 ans plus tard après la formulation
explicite par Descartes et Galilée du principe de l’inertie, étaient censés
transcender l’explication mécanistique, qui semblaient ainsi demander, pour
être appréhendés adéquatement, une autre manière d’explication, différente
de celle qui s’appuye sur le postulat de l’objectivité de la Nature. A parler
brièvement, le développement de la biologie moderne lui fait maintenir que
l’explication mécanistique, qui est seule à être compatible avec l’objectivité
de la Nature, peut s’étendre aux phénomènes vitaux, y compris la nature
humaine.
C’est peut-être ainsi qu’on vient à l’idée d’Unification du Savoir, idée
qui, dans la plupart des cas, prétend assimiler la science humaine à la
science naturelle, en refusant de lui admettre aucune rôle indépendant : on
entend souvent cette idée parler que si l’on arrive à avoir toutes les
connaissances physiques et chimiques et biologique, la science humaine
n’aurait plus rien à proprement dire. Nous voulons, dans cet écrit, montrer
pourquoi cette idée d’Unification du Savoir est inacceptable, et pourquoi et
comment la science humaine peut entretenir son indépendance malgré le
brillant développement récent de la science naturelle.