Il peut sembler évident que l’émergence de l’institution muséale représente un
enjeu esthétique majeur-les musées de peinture-dans le contexte historiquement
moderne, qui a pour vocation essentielle d’assurer dans une tradition de la
philosophie des Lumières, un humanisme esthétique universel. Mais cet éclairage
des oeuvres d’art, ce vouloir mettre les oeuvres d’art à la lumière n’en est
devenu que plus problématique quand il s’agit d’en faire le déplacement ontologique
du champ de ce qu‘on appelle voir.
Dans le cadre social le rôle principal du musée consiste à apprendre à lire
l’art hérité et l’art en train de se faire. C’est parce qu’il est conçu pour
apprendre “l’histoire visible de l’art”, qu‘il peut donc être organisé selon le
système des bibliothèques dans lequel s’est glissée la théorie de la connaissance.
On assiste donc à l’élaboration d’un projet qui vise à une certitude rationnelle,
ce qui revient à mettre en oeuvre une ob-jectivation radicale de l’art. Cette
objectivation qui interprète d’emblée l’art comme un objet de conaissance ne
caractèrise alors rien de moins que le pouvoir de la métaphysique de la volonté.
Le sens originel de la theoria est à comprendre à partir du fait de voir la
chose dans son apparaître, comme un témoignage de sa venue au monde. C’est,
en bref, contempler l’apparition de la vérité, l’action réelle de la praxis elle-mê
me. Pourtant la theoria, théorie d’aujourd’hui, ne remplit plus cette fonction: elle
ne contemple plus la vérité, elle ne participe plus au moment même de
l’apparition. Elle vise maintenant à subsumer en elle ce qui lui est présenté.
C’est ainsi qu’elle fait de tout ce qui est un objet, qu‘elle l’interprète et le
mesure, et finalement le domine. Théoria s’altère: l’ontologie de l’apparaître se
sacrifie au profit de l’ordre de la connaissance. Et il en résulte la théorie.
Notre thèse dévoilerait ainsi cette mise en opération de la theoria à travers
laquelle l’institution muséale devient un substitut à l’epstêmê.